Le Requiem Berlinois de Kurt Weill

2018 marquant le centenaire de l’armistice de 1918, Joël Suhubiette a choisi d’associer l’ultime chef d’œuvre de Mozart au Berliner Requiem de Weill dans un programme donné les 12 et 13 novembre prochains à Odyssud-Blagnac. Pour Joël Suhubiette, on a besoin d’entendre ce texte de Brecht « si intense, si noir, si dur, si fort sur la guerre » et le Berliner Requiem est une œuvre que l’on ne connait pas assez en France ! Alors nous vous proposons ici quelques éclairages et quelques pistes pour découvrir ou aller un peu plus loin sur un requiem pas tout à fait comme les autres…

 

Le Requiem Berlinois de Kurt Weill,
une cantate radiophonique

 

Kurt Weill (1900-1950) compose le Berliner Requiem en novembre, décembre 1928, sur commande de la Radio de Francfort. Si la commande initiale correspond à la célébration du dixième anniversaire de la première guerre mondiale, pour Kurt Weill, c’est aussi celui de la révolution spartakiste. Kurt Weill se lance donc dans une composition engagée artistiquement – en adoptant une écriture spécifique au média qui prévoit de le diffuser, et politiquement – en choisissant de composer un hommage à Rosa Luxembourg, prenant pour livret les poèmes de son complice de l’Opéra de Quat’sous Bertolt Brecht. Ce n’est pas sans contrainte que Kurt Weill réalise cet exercice de style !

Dans sa Notice sur le Requiem Berlinois parue dans Der deutsche Rundfunk (Berlin, le 17 mai 1929), Kurt Weill déclare :

« La Radio exige pour la première fois des musiciens sérieux de notre époque la création d’œuvres accessibles à l’auditoire le plus large. Le contenu et la forme de ces œuvres radiophoniques doivent donc être capables d’intéresser des auditeurs de tous horizons, et leurs moyens d’expression musicaux ne doivent pas non plus dérouter l’auditeur novice. »

Il s’agit donc de contraintes d’écriture et de contenus. Il faut intéresser, être accessible et faire passer le message que l’on souhaite… On verra que la censure aura raison en partie de ce dernier aspect.

 

Bertolt Brecht et Kurt Weill

 

Quelle forme pour le Berliner Requiem ?

 

Si on le compare au Requiem de Mozart que Joël Suhubiette a choisi pour les prochains concerts d’associer au requiem de Weill, on se rend compte tout de suite que la pièce berlinoise ne suit pas la liturgie catholique de la messe des morts. Il s’agit bien ici d’une cantate, et même d’une « petite cantate » comme le sous-titre de l’œuvre l’indique – c’est-à-dire une pièce vocale sur un poème, en l’occurrence de Bertolt Brecht, accompagnée par un orchestre. La cantate est une forme prisée par les compositeurs d’avant-garde des années 20, notamment pour la souplesse de sa forme. Kurt Weill décrit lui-même le Berliner Requiem comme « un requiem profane, une déclaration sur la mort sous forme de plaques commémoratives, d’épitaphes et de chants funèbres ».

Ce qui est intéressant, c’est qu’il mène une réflexion sur le média prévu pour la diffusion de sa pièce. En effet, il semble que l’écriture soit d’abord pensée pour le théâtre puisqu’il dit avoir issu sa production d’une série de travaux qui sont en quelque sorte « des études pour l’opéra [alors achevé] Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny ». Il insiste cependant sur le fait que le geste d’écriture soit « constitué de manière suffisamment évocatrice au niveau purement musical, pour que l’homme puisse se représenter le tableau de l’homme qui lui parle ». Il s’interroge aussi sur les conditions acoustiques du studio, les possibilités du micro, la répartition des registres des voix. Il insiste sur la clarté et la transparence de l’écriture. Pour l’instrumentation, il choisit donc de faire appel à deux solistes (ténor et baryton), un chœur d’hommes, douze instruments à vent – 2 clarinettes, 2 saxophones, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes et 2 trombones, soit un choix donnant une couleur toute particulière -, ainsi qu’à une guitare, un banjo, un orgue et des percussions. Quant à l’écriture, on sera tantôt en homophonie, très martiale, tantôt au rythme d’une danse, ou sur l’exposition simple d’une ligne mélodique : pas de contrepoint, pas de fioritures, une musique toujours au service de la limpidité d’un texte grave et percutant, parfois cynique.

 

Un cri déchirant contre la guerre
et la montée des extrémismes…mais censuré

 

Le Requiem Berlinois a d’abord été refusé par la radio de Francfort à cause du texte de Bertolt Brecht où Rosa Luxembourg était citée. Rosa Luxembourg était une militante de gauche, pacifiste, très engagée dans la révolution spartakiste. Après plusieurs périodes d’emprisonnement, elle a été assassinée le 15 janvier 1919. D’abord rouée de coups au visage au cours d’un interrogatoire, elle reçoit ensuite une balle dans la tête avant d’être jetée dans un canal de Berlin.

 

Rosa Luxembourg

 

Le texte initial « Die Rote Rosa » lui rendait hommage en la nommant directement :

Rosa la Rouge aussi a disparu.
Où repose son corps est inconnu.
D’avoir dit aux pauvres la vérité
Fait que les riches l’ont exécutée
Repose en paix,
Repose en paix.

Si ce texte a disparu et a été remplacé par l’Epitaphe (Marterl), un poème similaire dédié à une certaine Johanna Beck, on retrouve à travers les autres poèmes des allusions à cet assassinat, dans la Ballade de la fille noyée bien sûr, qui n’est pas sans rappeler la mort d’Ophélie de Shakespeare, mais aussi dans les deux Poèmes du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe où est notamment évoquée la mutilation du visage.

Suite à ces aménagements de texte, le Berliner Requiem fut donc finalement créé et diffusé par la Radio de Francfort le 22 mai 1929.

La censure opérée par les autorités de la radio poussèrent Kurt Weill à démissionner de son poste de rédacteur de la Radio Allemande qu’il occupait depuis 1924.

 


Prochaines dates

 

12 & 13 novembre 2018 – 20h30
Grande Salle – Odyssud Blagnac

 

Kurt Julian Weill (1900-1950) Berliner Requiem (1928)

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Requiem (1791)


Chœur de chambre les éléments

Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban
Soprano Julia Wischniewski / Alto Corinne Bahuaud
Ténor Nicholas Scott / Basse Geoffroy Buffière
Direction Joël Suhubiette

 



Pour aller + loin

 

– Lire le dossier pédagogique 

Textes et traduction – Weill / Brecht

en vidéo

– au disque : pour découvrir le Requiem de Kurt Weill, Joël Suhubiette recommande la version de 1992 du Chœur de la Chapelle Royale et l’Ensemble Musique Oblique sous la direction de Philippe Herreweghe (Harmonia Mundi)


Bibliographie

 

Kurt Weill, de Berlin à Broadway 
traduit et présenté par Pascal Huynh, Editions Plume 1993

Mozart et Kurt Weill pour le Concert du centenaire de l’Armistice de 1918
par Michel Grialou – Culture 31