Les Voix de Lou Camin

Sensibiliser chacun à la découverte du chant choral, tel est l’objectif des projets de médiation culturelle engagés par le chœur de chambre les éléments. En ce sens, un projet vient de se conclure avec le Pavillon Lou Camin de la Fondation John Bost à Montauban (Etablissement de Santé Autorisé en Psychiatrie) qui accueille des adultes porteurs de troubles psychotiques persistants.

Porté par l’ADDA 82, soutenu par la DRAC Occitanie et l’Agence Régionale de Santé, en partenariat avec la Fondation John Bost et le Chœur de chambre les éléments, ce projet était un véritable temps de médiation pendant lequel patients et membres du personnel du Pavillon se retrouvaient pour vivre ensemble une expérience vocale unique.

De septembre 2016 à mars 2017, Bertrand Maon, chanteur au sein des éléments, a initié un groupe de 20 patients et 12 membres du personnel (direction, éducatif, infirmier, logistique) à la technique vocale, l’apprentissage d’un répertoire, la création, l’improvisation rythmique et vocale.

Regards croisés sur ce projet avec les témoignages de Bertrand Maon, intervenant et chanteur au sein des éléments, Fabrice Caton, directeur de l’établissement et l’équipe coordinatrice du projet au Pavillon Lou Camin : Emmanuelle Broussard, chef de service, Anne Corriger et Benjamin Dubois, éducateurs spécialisés.

Pourquoi avez-vous souhaité participer à un tel projet ?

L’équipe : Les personnes psychotiques reçues à Lou Camin présentent des troubles majeurs dans la relation à l’autre, ce qui entrave leur quotidien. Nous pensons que la culture, bien commun à tous en tant que zone de découverte, de création, de libre choix offre, autrement, la possibilité d’un lien. Exempte de normes, de conformités, la culture ouvre un espace de liberté à chaque patient dans sa singularité.

Lou Camin a depuis longtemps mis en place des activités/ateliers thérapeutiques autour du média culturel ; par le biais de ce projet, nous faisons le pari d’une possible reconnaissance des patients comme citoyens-acteurs dans la vie de la cité.

L’équipe pluridisciplinaire s’est engagée dans ce projet « Culture et Santé » dans l’idée de structurer une politique culturelle dans l’établissement et de construire une passerelle solide entre le dedans (institution) et le dehors (cité) que l’on souhaite rendre pérenne.

Bertrand : Après presque 30 ans en tant que chanteur lyrique et d’expérience artistique et d’actions culturelles auprès des patients et des soignants dans le secteur de la santé et du médico-social, après les trois ans d’ateliers « Enchantons-nous »*, il était naturel que j’accepte la proposition des éléments de participer à ces ateliers musicaux et vocaux avec un service de psychiatrie adulte de la Fondation John Bost, le Pavillon Lou Camin à Montauban.

Les ateliers réunissaient à la fois les patients de la structure et les membres du personnel. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

Bertrand : Au cours de ces six mois, le concept où patients et salariés (soignants ou autres) de la structure sont « stagiaires » autour de l’artiste, a encore fonctionné à merveille. L’accueil de toute l’équipe de Lou Camin, l’investissement de chacune et de chacun a permis de monter un programme vocal avec un groupe constitué d’une vingtaine de stagiaires, et de construire des liens relationnels au cours des ateliers.

Même si lors de ce travail l’artiste touche à plusieurs fonctions -animateur, régulateur, éducateur, professionnel de la voix-, on peut dire que finalement c’est « l’artiste en tant qu’humain » qui l’emporte pour mener à bien cette action.

Merci à toutes les actrices et tous les acteurs de ce projet pour y avoir largement contribué.

Equipe : La participation des patients à l’atelier a été hésitante pour quelques uns  mais régulière pour un bon nombre. Pour ces derniers, nous avons pu remarquer l’intérêt pour un « nouvel » atelier mené par une personne extérieure, de l’attention et du respect à son égard, un dépassement de soi : accepter de s’exposer, de toucher et d’être touché (travail sur le corps), de donner de sa voix, de chanter avec les autres…

La présence à l’atelier de membres de l’équipe, rassurante pour les patients dans un premier temps, a permis de faire du lien avec l’intervenant. Au fil des séances, l’idée de groupe s’est formée autour de la mise en commun des capacités et/ou des difficultés de chacun. Moment partagé, cela a permis parfois des échanges autour du contenu et du vécu après la séance.

Le professionnalisme de l’intervenant a favorisé la mise en relation ; les participants ont été sensibles à cette façon de faire, de dire, de présenter, d’approcher la musique et le chant… certains ont voulu prolonger cette expérience en allant assister à une répétition de concert (chœur et orchestre) : ils en sont ressortis émerveillés !

Fabrice Caton – Directeur de Lou Camin : Lou Camin est une institution de réadaptation psychosociale. Cela signifie que le lien qui unit nos patients à la société est l’objet même de notre travail. Ce projet a pour objectif de faire rentrer en les murs un monde qui par ailleurs n’y existe pas. Ce monde est celui de l’art lyrique, et pas le moindre : un art de très grande qualité. Cet art est la représentation d’une part de la société dans ce qu’elle peut faire exister de plus beau. Ce « beau » est un jugement sociétal, communément partagé. Y donner accès aux patients, c’est leur permettre « d’en faire partie », d’être vus par eux, et les autres comme « beaux ». Il s’agit d’un déplacement radical du regard des patients porté sur eux-mêmes et par les autres.  Les principes de la Fondation John Bost à laquelle appartient Lou Camin impliquent une forte confiance en la vertu thérapeutique du beau. Ce projet en est l’illustration. Les patients et les professionnels se côtoient, à égalité, pour produire une œuvre commune. Ils s’interrogent, cherchent, parlent et pensent ensemble. Ils font société, sans les clivages habituels « patients / soignants » (ou, pour être honnête, avec un amoindrissement de ce clivage). Et ces nouveaux espaces où le lien social est vécu autrement, aboutissent à des sourires, des blagues que l’on peut (enfin !) se permettre, de la fierté, et surtout une envie commune. C’est cette envie qui perdurera « après ». C’est elle qui porte les germes d’un ailleurs possible, d’une autre relation au monde. Et c’est ce qu’a réussi, me semble t-il à apporter ce projet dans notre institution.

 

Quelques mots des patients et soignants

– « Merci pour ces séances musicales qui nous ont permis un « pas de côté » tellement agréable et oxygénant ».

– « C’était extraordinaire, magnifique ».

– « Que de bons moments « enchantés » qui nous ont permis de partager de l’improbable, de l’inattendu… je me suis laissée surprendre à nouveau… c’est tellement agréable, merci beaucoup ».

– « Merci de m’avoir permis de voir, rencontrer et retrouver autant les collègues que les patients différemment, autrement. Merci de m’avoir permis de me rencontrer différemment ».

– « Merci pour ces très beaux moments de partage ».

 

 

*Le projet «Enchantons-nous » a été réalisé au sein du Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (CHU Purpan – Toulouse) de 2013 à 2016. Initié par le Chœur de chambre les éléments, porté par le projet « Culture et Santé » du CHU de Toulouse et soutenu par la Fondation Daniel et Nina Carasso, ce projet a donné l’opportunité aux patients et aux soignants du service de découvrir le chant choral à travers des ateliers d’initiation, d’expression et de création autour de la voix menés par Bertrand Maon.