Dans les coulisses d’un enregistrement

Une semaine de concentration, d’échanges, de silences, d’écoute, pour enregistrer le programme de polyphonies espagnoles et portugaises Iberia. Tous les jours, du 26 au 29 juin 2017, les chanteurs des éléments, Joël Suhubiette, Erwan et Aude (directeur artistique et ingénieur son) se retrouvaient dans la Chapelle des Carmélites de Toulouse, fermée au public pour l’occasion.

Nous avons demandé à Erwan Boulay, directeur artistique de cet enregistrement, et aux chanteurs, de partager les coulisses de cette expérience.

Quelles sont les différentes étapes d’un enregistrement ? Quel est le rôle de chacun ?

Erwan Boulay, directeur artistique du disque : La première phase est celle de préparation et de discussions avec le chef musical afin de prévoir le temps d’enregistrement, l’esthétique des œuvres et l’acoustique du lieu, pour bien prendre en compte chacun de ces paramètres. En découle le choix du matériel et de l’équipe adaptés. Il est devenu courant de nos jours que le rôle de directeur Artistique et d’ingénieur du son soit réalisé par la même personne. Or cela paraissait dommage dans le cas de l’enregistrement des éléments. En effet, avec un effectif de 18 chanteurs, nous dépassions le cadre de la musique de chambre. Il est donc nécessaire qu’une personne en cabine soit concentrée sur la qualité du résultat sonore tandis que la seconde soit plus portée sur la conduite artistique de la séance. Aude avait donc le rôle d’ingénieur du son tandis que j’occupais celui de directeur artistique.

Comment se sont déroulées les sessions d’enregistrement avec le chœur dans la Chapelle des Carmélites ?

Erwan Boulay : Sur place, nous avons procédé à l’étape d’installation technique et la « balance ». Cette période est dédiée à la réalisation d’une base sonore qui servira pour la majorité des pièces enregistrées. Elle se fait sur une ou plusieurs œuvres du répertoire, généralement des pièces où les musiciens sont à l’aise.
La balance a pour but de réaliser une image sonore de l’ensemble en jouant sur les emplacements des musiciens et des microphones. Dans le cas des éléments, l’objectif était de retrouver la plénitude harmonique des voix dans une large stéréo. Évidement l’objectif du respect de l’équilibre du chœur est primordial. Nous avions de plus comme finalité de restituer la magnifique acoustique de la Chapelle des Carmélites.
Une fois heureux de la sonorité du chœur dans sa configuration « normale », nous l’avons testé avec la pièce d’António Chagas Rosa où l’emplacement des solistes modifiait notre image sonore.

Après un léger travail avec le chœur, nous avions décidé avec Joël d’enregistrer une fois la pièce entière afin de l’écouter dans son ensemble. Cela nous permettait de déterminer les points généraux à travailler (équilibre, tempo, son du chœur, nuances) et les passages qui annoncent des difficultés pour chaque pièce en fonction de leur esthétique. C’est une façon de travailler très commune dans la musique classique.

Avec Aude, l’ingénieur du son, vous étiez placés en cabine et non face au chœur, pourquoi ?

Erwan Boulay : L’écoute en cabine permet de prendre beaucoup de recul sur la manière d’aborder les œuvres et cette version est très importante pour trouver la dynamique. Il est en effet très facile de ne se focaliser que sur des détails techniques et de perdre l’élan musical d’une pièce en enregistrement. J’aime aussi enregistrer une version entière à la fin de la séance de travail. Malgré la fatigue, le résultat est souvent surprenant de musicalité !
Nous enregistrons parfois les pièces d’un seul élan ou bien par partie quand celle-ci était de plus grande envergure. Cet épisode est évidemment celui qui prend le plus de temps. Nous passons tout en revu, scrutant la moindre erreur ou maladresse.

Quel est le rôle du directeur artistique de l’enregistrement par rapport au chef de chœur ?

Erwan Boulay : Le directeur artistique complète l’oreille du chef de chœur pour valider si l’ensemble de la partition est retransmise dans son plus grand potentiel. Il est normal de se questionner sur le besoin d’un directeur artistique quand il y a un chef. Mais son rôle est pourtant primordial pour rassurer le chef ou bien le confirmer dans ses doutes.
Par ailleurs, le directeur artistique est placé en cabine et a donc le résultat final dans ses oreilles qui diffère parfois de celui perçu à la place du chef. Il intervient aussi sur la gestion du temps d’enregistrement afin de ne pas délaisser un passage pour un autre. Le rôle du directeur artistique est donc très important comme complément du chef.

Quelle a été la particularité de l’enregistrement du programme Iberia ?

Erwan Boulay : Cet enregistrement fut passionnant, notamment du fait d’être auprès des compositeurs et d’avoir leur ressenti tout au long de la captation de leur pièce. Le dialogue en cabine était fourni et souvent très constructif pour améliorer le rendu artistique et sonore. Ce fut vraiment un bonheur de travailler avec ces deux compositeurs incroyables.
Je peux dire que ce fut une vraie chance pour moi de participer à cet enregistrement. Ce chœur a vraiment une grande discipline de travail et en même temps une énergie débordante qui n’est pas sans rappeler la personnalité de son chef. Ce n’est jamais simple de trouver sa place dans un ensemble vocal qui est habitué à travailler ensemble. Mais notre façon de penser la musique commune nous a permit de réaliser un disque très prometteur et je retiendrais une anecdote de cet enregistrement : J’aime élargir ma direction artistique en ajoutant des éléments « sonore » aux discussions musicales. Je leur ai donc proposer de chanter un passage d’une pièce en se tournant légèrement des micros afin de varier le son du chœur. L’énergie qu’ils ont mis afin de réaliser cette demande m’a réellement bouleversé et je pourrais maintenant écouter ce passage en boucle ! J’espère qu’il plaira aux futurs auditeurs…

Sophie, alto : C’est un moment hors du temps pour moi, je ne sais plus ce qui se passe dans le monde ! C’est vrai, comme si nous étions dans un espace-temps différent. C’est un privilège que de pouvoir vivre cela. 100% pour la musique, le silence, la voix est prioritaire… J’adore ca.
Celui d’Iberia était fluide, tout marchait sans encombre. Il aurait pu y avoir les bruits de la ville (j’avoue avoir eu des craintes lorsque j’ai su que cela se passerait à 50 m de la rue du Taur, si vivante !)… et puis non. Il aurait pu y avoir le tonnerre des orages annoncés chaque jour… et puis non. Il aurait pu y avoir les coupures d’électricité qui surviennent en cas de gros orages … et puis non.
Nous étions bénis des dieux !
Ce n’est pas toujours le cas. J’ai des souvenirs d’attentes interminables que la pluie cesse sur les gravillons qui entouraient le cloître où nous enregistrions.
D’autres où il a fallu payer un tronçonneur qui faisait juste son job aux mauvais horaires pour nous !
Un autre où un oiseau est entré dans l’église et ne savait plus comment en ressortir, s’affolait, faisait ses besoins et ça tombait tout près des chanteurs qui ont adopté bonnets et casquettes pour s’en protéger… fou-rire général !

L’enregistrement est désormais « dans la boîte ». Place maintenant à la post-production…

Le CD sortira quant à lui en début d’année 2018 sous le label Mirare.

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